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La nécessité d’une preuve d’expert en droit disciplinaire

Par Lanctot Avocats

Par Me Véronique Guertin

Nous présentons dans cet article un survol des règles applicables à l’examen médical d’un professionnel. Cette décision est prise par le Conseil d’administration de l’ordre professionnel duquel il est membre[1].

Le Code des professions prévoit, à son article 48, qu’un ordre professionnel peut ordonner l’examen médical de l’un de ses membres s’il a « des raisons de croire que cette personne présente un état physique ou psychique incompatible avec l’exercice de la profession »[2]. Lorsqu’une telle situation est portée à son attention, le Conseil d’administration analyse l’information qui lui est soumise concernant le membre et décide si oui ou non elle est suffisante pour justifier l’imposition d’un examen médical. Il est nécessaire de préciser qu’à ce stade, le professionnel n’a pas à être informé de la démarche initiée ni même à être invité par l’ordre à présenter ses observations avant que la décision ne soit prise[3]. Si, après analyse du dossier, le Conseil d’administration décide d’ordonner un examen médical, la résolution qui le prévoit doit être signifiée au professionnel et indiquer notamment les motifs au soutien de la décision[4].

Il est possible que l’information transmise à l’ordre professionnel relativement à l’état physique ou psychique du membre requiert une intervention urgente en vue de protéger le public. Lorsque c’est le cas, en plus de décider de soumettre le membre à un examen médical, le Conseil d’administration peut décider de le radier ou de limiter ou suspendre son droit d’exercer des activités professionnelles provisoirement jusqu’à ce qu’une décision soit prise à la suite de l’examen médical[5]. Le Conseil d’administration doit alors informer le professionnel des faits portés à sa connaissance et lui donner l’occasion de présenter des observations avant de rendre sa décision sur cette mesure provisoire[6]. La jurisprudence nous enseigne à ce propos que le délai accordé par l’ordre doit être raisonnable[7]. Par ailleurs, le Conseil d’administration doit, s’il veut imposer une telle mesure, être en présence de circonstances qui nécessitent une intervention urgente et agir avec célérité une fois la situation portée à son attention[8]. En effet, si les faits qui lui sont rapportés ne sont pas suffisamment contemporains, le critère de l’urgence pourrait être considéré comme n’ayant pas été satisfait. Une fois la décision prise d’imposer une mesure provisoire en vue de protéger le public, le professionnel devra recevoir copie de la résolution, qui devra indiquer clairement les informations qui ont été présentées au Conseil d’administration et les inférences qu’il en a tirées relativement à l’urgence de la situation[9].

La décision du Conseil d’administration imposant une mesure provisoire à un professionnel jusqu’à la décision sur l’examen médical peut faire l’objet d’un appel devant le Tribunal des professions[10]. Cet appel ne suspend toutefois pas l’exécution de la décision rendue[11], raison pour laquelle un professionnel pourrait juger nécessaire de présenter une demande de suspension de l’exécution de la décision imposant la mesure[12]. La suspension étant un recours exceptionnel, le fardeau de preuve appartiendra à la partie qui la requiert[13].

Mais en quoi consiste exactement le mécanisme de l’examen médical? Il s’agit d’un examen réalisé par trois médecins[14], dont un nommé par le Conseil d’administration, un par le professionnel et un par les deux parties. Les médecins rencontrent le professionnel et produisent un rapport au Conseil d’administration relativement à la compatibilité de l’état physique ou psychique de la personne avec l’exercice de la profession[15]. Les rapports sont par la suite envoyés au professionnel[16].

Le Code des professions ne prévoit pas d’appel de la décision d’un ordre professionnel d’imposer un examen médical à l’un de ses membres.

Lorsque le professionnel refuse de se soumettre à l’examen médical ou que les rapports des médecins concluent majoritairement à un état physique ou psychique incompatible avec l’exercice de la profession, le Conseil d’administration peut décider de le radier ou limiter ou suspendre son droit d’exercer des activités professionnelles[17] après lui avoir permis de présenter des observations[18]. Il revient par la suite au Conseil d’administration de juger de la mesure la plus appropriée dans les circonstances afin d’assurer la protection du public.

Soulignons en terminant que si le Conseil d’administration ne juge pas pertinent à un moment x d’imposer un examen médical à un professionnel, rien ne l’empêche de se repencher à nouveau sur la situation de ce professionnel à la suite de la réception de faits nouveaux justifiant une nouvelle analyse.

Par ailleurs, il est loisible à une personne qui s’est fait imposer une mesure en vertu de l’article 51 du Code des professions de demander une réévaluation de sa situation par le Conseil d’administration de l’ordre, sur présentation d’un nouveau rapport médical se prononçant sur la compatibilité de son état physique ou psychique avec l’exercice de la profession[19]. Si le rapport n’établit pas à la satisfaction du Conseil d’administration la compatibilité de l’état de santé avec l’exercice de la profession, le Conseil d’administration ordonnera un nouvel examen médical[20].

  • [1] Il importe de mentionner que le Conseil d’administration peut déléguer à un comité créé à cette fin ou au comité exécutif les pouvoirs qui lui sont dévolus aux articles 48 à 52.1 du Code des professions. Voir, à cet effet, les articles 62.1 et 96.1 du Code des professions.
  • [2] Code des professions, RLRQ, chapitre C-26, art 48. Il s’agit d’un mécanisme qui permet à un ordre professionnel de s’assurer du respect de l’article 54 du Code des professions, qui prévoit : « Tout professionnel doit s’abstenir d’exercer sa profession ou de poser certains actes professionnels dans la mesure où son état de santé y fait obstacle ».
  • [3] Karpman c Notaires, 1999 QCTP 14.
  • [4] Code des professions, supra note 2, art 50.
  • [5] Code des professions, supra note 2, art 52.1. [6] Id.
  • [7] Dans l’affaire Vianna c Notaires (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 93, le Tribunal des professions a jugé que le comité exécutif avait fait preuve de précipitation en imposant la radiation du professionnel malgré une demande du procureur de ce dernier afin d’obtenir un délai additionnel pour compléter ses observations. Ce faisant, la décision du comité exécutif comportait une faiblesse apparente justifiant l’octroi d’un sursis d’exécution.
  • [8] Vianna c Notaires (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 93, au para 22.
  • [9] F.L. c Avocats (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 44, aux para 26, 32 et 39.
  • [10] Code des professions, supra note 2, art 53 et 182.1.
  • [11] Ibid, art 182.3.
  • [12] La suspension de l’exécution de la décision du Conseil d’administration a notamment été accordée dans les affaires Vianna c Notaires (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 93, Lessard c Avocats (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 134, F.L. c Avocats (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 94 et Lafontaine c Médecins (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 61. La suspension a cependant été rejetée dans les affaires Bédard c Technologues professionnels, 2004 QCTP 104 et Ciarallo c Avocats (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 62.
  • [13] F.L. c Avocats (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 94, au para 23. Pour connaître les critères à satisfaire pour obtenir un tel sursis, voir notamment Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, Michon c Avocats (Ordre professionnel), 2013 QCTP 77, Sproule c Avocats (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 46, Belliard c Barreau du Québec (Comité exécutif du), 2014 QCTP 106, Adessky c Avocats (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 110, Moïse c Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 21 et Denis c Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2018 QCTP 119.
  • [14] Le Code des professions prévoit également la possibilité pour le professionnel et le Conseil d’administration de consentir à ce que l’examen soit effectué par un seul médecin (art 49.1). Cependant, dans le but d’alléger le texte, nous ne traiterons ici que de l’hypothèse dans laquelle trois médecins sont désignés.
  • [15] Code des professions, supra note 2, art 49.
  • [16] Ibid, art 49.
  • [17] Ibid, art 51.
  • [18] Id.
  • [19] Code des professions, supra note 2, art 52.
  • [20] Id.