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La confidentialité de l’enquête d’un syndic d’un ordre professionnel

Par Lanctot Avocats

Par Me Bérengère Laplanche et Me Marie-Claude Dagenais

La protection du public constitue la raison d’être de tout ordre professionnel[1]. Le législateur en a fait son objectif suprême, l’érigeant au sommet du droit professionnel.

Dans un tel contexte, la confidentialité de l’enquête du syndic est le corollaire aux larges pouvoirs d’enquête qu’il détient[2]. Elle est assurée notamment par le serment de discrétion que tout syndic se doit de signer[3].

Qu’en est-il lorsqu’un service de police, dans le cadre d’une enquête criminelle en matière de crimes sexuels, souhaite obtenir la délivrance d’un mandat de perquisition afin d’accéder au dossier d’enquête du bureau d’un syndic d’un ordre professionnel ? Autrement dit, le syndic est-il tenu de divulguer ou de communiquer aux policiers son dossier d’enquête ou une information qui y est contenue ?

Le 8 juillet dernier, la Cour d’appel a rendu un arrêt fort intéressant en la matière dans l’affaire Boisvert c. Brisson[4]. Il s’agit d’une excellente illustration d’un conflit entre deux processus ayant pour objet la protection du public : la conduite d’une enquête criminelle en matière de crimes sexuels et le processus disciplinaire.

Cette histoire débute lorsqu’un infirmier est surpris en train d’avoir des relations sexuelles avec une patiente alors hospitalisée pour des soins en milieu psychiatrique dans un établissement.

Deux enquêtes parallèles sont initiées. Celle de la syndique adjointe de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec dans un cadre disciplinaire et celle du Service de police de la Ville de Montréal agissant dans le cadre d’une enquête criminelle.

Au terme de son enquête, la syndique adjointe dépose une plainte disciplinaire alléguant des infractions en lien avec 6 patientes. Le Conseil de discipline déclare l’infirmier coupable de ces infractions et lui impose notamment la révocation de son permis d’exercice. Dans le cadre de l’instruction de la plainte disciplinaire, le Conseil prononce une ordonnance de non-divulgation, non-publication et de non-diffusion[5] relativement aux noms des patientes mentionnés dans la plainte et de tout renseignement permettant de les identifier.

Lorsque le corps policier apprend l’existence de ces dossiers disciplinaires, il s’adresse à un juge de paix et demande un premier, puis un second mandat de perquisition dans le but d’obtenir le nom des patientes visées dans les dossiers disciplinaires et constituer sa propre enquête relativement à des agressions sexuelles commises sur des patientes.

Le bureau du syndic remet alors une boîte scellée en demandant de ne pas l’ouvrir afin de permettre la contestation du mandat. La syndique adjointe de l’Ordre dépose par la suite une requête en certiorari devant la Cour supérieure demandant l’annulation ce deuxième mandat de perquisition. Elle soulevait que le mandat délivré visait un dossier protégé par l’obligation de confidentialité du syndic et violait les ordonnances qui avaient été prononcées par le Conseil de discipline.

Le juge de la Cour supérieure estime que le juge de paix ayant délivré le mandat a omis d’évaluer le privilège liant les patientes au syndic. Appliquant le test Wigmore[6] utilisé pour établir l’existence d’un privilège « au cas par cas », la Cour supérieure a conclu que toutes les conditions étaient réunies dans cette affaire et que les informations dans le dossier du syndic étaient privilégiées. Dès lors, elles ne pouvaient pas être visées par un mandat de perquisition.

Par conséquent, le juge de la Cour supérieure accueille la requête en certiorari et annule le deuxième mandat de perquisition. Le Service de police interjette appel de cette décision, transportant le débat devant la Cour d’appel.

Tout d’abord, la Cour d’appel tranche qu’il était raisonnable pour le juge de paix d’inférer de la preuve du fait que seulement deux des six patientes avaient porté plainte à la police, que les quatre autres avaient choisi de ne pas le faire et que les patientes s’étaient fiées à la confidentialité du processus disciplinaire.

La Cour d’appel énonce que la confidentialité du dossier du bureau du syndic n’est pas un obstacle en soi à la délivrance d’un mandat de perquisition et que le dossier du syndic n’est pas visé par les ordonnances prononcées par le Conseil discipline.

La Cour détermine que la question en litige est de savoir si le dossier d’enquête du bureau du syndic est sujet à un privilège au cas par cas et applique à son tour le test Wigmore.

La Cour ne s’attarde pas sur les deux premiers volets puisque le service de police convient que les patientes ont communiqué confidentiellement avec la syndique et que la confidentialité est essentielle aux communications entre la patiente et la syndique.

Concernant le 3e critère, la Cour statue qu’« (i)l va de soi que la relation entre le syndic et les patientes doit généralement être « assidûment » entretenue dans l’intérêt du public.»[7]

La Cour d’appel s’attarde davantage au 4e volet dont elle qualifie l’analyse de plus épineuse. Elle rappelle qu’il s’agit en l’espèce de pondérer des objectifs qui visent tous deux la protection du public, soit une enquête criminelle en matière de crimes sexuels et d’un autre côté le droit à la vie privée des personnes formulant une dénonciation auprès d’un syndic ainsi que l’intégrité du processus disciplinaire.

La Cour accorde en premier lieu l’importance pour l’intérêt public à ce qu’une enquête criminelle soit conduite et à ce que le crime soit réprimé, mais évalue que cet intérêt est limité par deux facteurs. La Cour estime en effet qu’il n’est pas clair qu’un crime a été commis en l’espèce, puisque les infractions disciplinaires de nature sexuelle pour lesquelles l’infirmier a été reconnu coupable ne correspondent pas nécessairement à des infractions criminelles. D’autre part, la collaboration des patientes à l’enquête criminelle n’est pas acquise.

La Cour considère ensuite que « le respect de la confidentialité des patientes et leur expectative de vie privée sont des notions particulièrement importantes lorsque les actes reprochés sont de nature sexuelle ou intime »[8] et que la confirmation du mandat de perquisition brimerait cette confidentialité et cette expectative, et ce, alors que le contact par les enquêteurs de la police, si respectueux soit-il, n’est pas voulu par les patientes.

La Cour d’appel analyse ainsi le préjudice qui pourrait causer la violation de la confidentialité d’une enquête du syndic du professionnel :

« Un autre élément important à considérer est le préjudice causé aux enquêtes des syndics d’ordres professionnels. En effet, la confidentialité du dossier d’enquête du syndic favorise les dénonciations de professionnels, particulièrement en matière d’inconduite sexuelle, ce qui, ultimement, participe à l’objectif de protection du public par le contrôle de l’exercice de la profession. Toute atteinte à ce principe de confidentialité pourrait nuire à l’objectif de protection du public » [9].

La Cour souligne que 4 des 6 victimes avaient fait le choix de se confier à la syndique adjointe de l’Ordre et de ne pas déposer une plainte à la police. Elle rappelle que ces victimes ne se seraient peut-être pas confiées à la syndique de l’Ordre si elles avaient su que la police pouvait obtenir les informations contenues dans le dossier d’enquête de la syndique adjointe.

Par ailleurs, la Cour d’appel retient qu’il existait d’autres moyens d’enquête moins invasifs à la disposition du service de police, telle une conférence de presse, permettant de retrouver des victimes potentielles.

En conclusion, la Cour évalue que le 4e critère était également rempli, puisque l’intérêt à soustraire l’identité des patientes à la divulgation l’emportait sur celui de découvrir la vérité et à bien trancher le litige[10]. Elle rejette par conséquent l’appel, le juge réviseur de la Cour supérieure n’ayant pas erré dans sa conclusion.

Nous retenons de cet arrêt que la question qui se pose lorsqu’un service de police souhaite perquisitionner le dossier d’enquête du bureau d’un syndic d’un ordre professionnel est de savoir si le dossier est sujet à un privilège au cas par cas. Si la confidentialité du dossier du syndic n’est pas en soi un empêchement à la délivrance d’un mandat de perquisition, elle constitue un des éléments à considérer au premier plan dans l’établissement de l’existence d’un tel privilège parce que toute atteinte à ce principe de confidentialité peut nuire à l’objectif de protection du public recherché par le droit disciplinaire. Le respect de la confidentialité des patients et leur expectative de vie privée sont tout autant d’une importance déterminante.

  • [1] Code des professions, RLRQ. c. C-26, art.23
  • [2] Code des professions, RLRQ. c. C-26, art.122
  • [3] Code des professions, RLRQ. c. C-26, art.124
  • [4] Boisvert c. Brisson, 2020 QCCA 906 (CanLII)
  • [5] Code des professions, RLRQ. c. C-26, art.142
  • [6] J.H. WIGMORE, Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision, par. 2285
  • [7] Boisvert c. Brisson, 2020 QCCA 906 (CanLII), par. 58.
  • [8] Boisvert c. Brisson, 2020 QCCA 906 (CanLII), par. 67.
  • [9] Boisvert c. Brisson, 2020 QCCA 906 (CanLII), par. 71
  • [10] Boisvert c. Brisson, 2020 QCCA 906 (CanLII), par. 52-53, 74