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La suspension provisoire

Par Lanctot Avocats

Par Frédérique Cartier-Côté et Me Marie-Hélène Lanctot

La suspension provisoire est prévue à l’article 122.0.1 du Code des professions. Il s’agit d’une mesure « d’urgence » pertinente dans les cas où une poursuite criminelle est intentée contre un professionnel. Pour donner ouverture à ce type de recours, c’est la personne qui le demande qui a le fardeau de démontrer les quatre conditions suivantes devant le Conseil de discipline :

1. Une poursuite criminelle doit être intentée et pendante

Le Conseil de discipline qui évalue la demande doit prendre les accusations telles qu’elles sont portées à son attention. D’une part, il faut considérer que, dans le cadre d’une telle procédure, le syndic ne dispose que de peu d’informations comme il ne bénéficie généralement que de l’acte d’accusation. D’autre part, si l’on considère le caractère urgent d’une telle procédure, il serait contraire à l’essence même d’une telle mesure d’exiger une enquête exhaustive.[1]

2. La poursuite criminelle doit être intentée contre un professionnel

Pour être reconnu comme un professionnel, la personne intimée doit être dûment inscrite au tableau de son ordre professionnel, donnant alors compétence au Conseil de discipline pour entendre une telle requête. Une attestation du statut de l’intimé démontrant qu’il est membre en règle de son ordre est généralement suffisant pour respecter ce critère.

Or, il n’est pas nécessaire que le professionnel soit membre de son ordre professionnel au moment où les poursuites criminelles sont portées contre lui.

3. La poursuite criminelle doit viser une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus

Les peines d’emprisonnement sont généralement prévues au Code criminel. Ici, il s’agit d’un critère de nature purement objective.[2] Une simple lecture des dispositions en rapport avec une infraction reprochée permet de répondre par l’affirmative ou non à ce critère.

4. La poursuite criminelle doit avoir un lien la profession.

Ce dernier critère s’évalue selon l’article 122.0.3 du Code des professions, reconnaissant deux critères qui, même s’ils viennent souvent ensemble, restent non-cumulatifs : le lien avec l’exercice de la profession et la confiance du public envers les membres de l’ordre.

Pour ce qui est du lien avec l’exercice de la profession, dans l’affaire Thivierge, la Cour d’appel rappelle certains aspects du test en deux étapes élaborées par le Tribunal des professions dans le cadre d’une procédure sous l’article 149.1 du Code des professions. La première étape consiste à examiner la nature des infractions, leur gravité et les circonstances entourant leur commission, le tout en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de la profession. Puis, la deuxième étape prévoit de prendre en compte la pratique spécifique du professionnel visé dans le but de décider si c’est opportun d’imposer des sanctions.

Par exemple, le Conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec a ordonné une suspension provisoire pour un comptable faisant l’objet de chefs d’accusation pour fraude et vol d’une résidence pour personnes âgées. Dans cette affaire, le Conseil a retenu qu’il était difficile d’entrevoir un lien plus direct entre les infractions criminelles reprochées à l’intimé et l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé : « La nature même des actes reprochés contredit l’essence de la profession qui a pour but d’optimiser la performance, la rentabilité et la croissance du patrimoine d’une personne, d’une entreprise ou d’une organisation, de favoriser une saine gouvernance ou la reddition de comptes ou d’accroître la fiabilité de l’information[3]

Également, il ne faut pas oublier que le public est en droit de s’attendre à ce que les ordres professionnels prennent toutes les mesures pour assurer d’une part, la protection du public, et, d’autre part, pour éviter qu’un membre ne puisse offrir ses services si son honnêteté est remise en doute. Le lien de confiance entre le public et les ordres professionnels doit être préservé. 

Finalement, il est à noter qu’un acte criminel peut avoir un lien avec l’exercice de la profession même s’il a été commis en dehors de ses activités professionnelles.[4] Par exemple, dans l’affaire Nadeau, le Conseil de discipline de l’Ordre des podiatres du Québec a conclu qu’il y avait un lien entre les infractions d’harcèlement criminel et de voies de fait commises à l’extérieur des activités professionnelles, et l’exercice de la profession de podiatre. Le Conseil a déclaré que la nature même des actes reprochés à l’intimé allait à l’encontre de l’essence de la profession de podiatre qui amène ce professionnel de la santé à savoir accès à l’intimé de ses patients que ce soit sur le plan physique, mental ou affectif.[5]

Les effets de la suspension provisoire

Lorsque la requête est accueillie et que la suspension provisoire est ordonnée, ses effets sont immédiats et pour une durée de 120 jours.[6] Après cette période, si si le requérant désire prolonger la suspension provisoire, une requête en renouvellement doit alors être présentée devant le Conseil de discipline.

Ceci dit, il est important de garder à l’esprit que le mécanisme des articles 122.0.1 et suivants du du Code des professions demeure un recours exceptionnel ayant pour conséquence de priver le professionnel de son droit d’exercer sa profession avant même qu’il soit reconnu coupable des actes allégués.[7]


[1] Sharon Godbout, « la suspension ou la limitation provisoire du droit d’un professionnel d’exercer ses activités professionnelles lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite criminelle », Repères, Yvon Blais, 2018, EYB2018REP2622, p.6-7.

[2] Psychologue (Ordre professionnel des) c. Lavoie, 2019 CanLII 20258 (QC OPQ), par. 40.

[3] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Gauvin, 2022 QCCDCPA 43 (CanLII), par.36

[4] Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Sandhu, 2022 QCCDIA 2 (CanLII), paragr. 23.

[5] Podiatres (Ordre professionnel des) c. Nadeau, 2022 QCCDPOD 5 (CanLII), paragr. 75

[6] Art. 122.0.5 Code des professions

[7] Sharon Godbout, « la suspension ou la limitation provisoire du droit d’un professionnel d’exercer ses activités professionnelles lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite criminelle », Repères, Yvon Blais, 2018, EYB2018REP2622, p.6.