Par Me Bérengère Laplanche
L’accès à l’information est une question importante dans une société démocratique, raison pour laquelle ce droit est consacré par la Charte des droits et libertés de la personne. L’article 44 prévoit que « toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi [1]».
Le législateur a en outre instauré la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et a assujetti à cette loi les organismes publics, notamment les ordres professionnels [2].
Ainsi, toute personne peut présenter gratuitement une demande d’accès à l’information auprès d’un ordre professionnel afin d’obtenir des documents ou des renseignements[3].
Selon le Code des professions[4], le syndic d’un ordre professionnel est le responsable de l’accès à l’information par défaut à l’égard des documents et renseignements qu’il obtient ou qu’il détient, de même que ceux qu’il communique au sein de l’ordre. Tel est le cas des informations contenues au sein de ses dossiers d’enquête.
Lorsqu’il reçoit une information selon laquelle un membre a commis un manquement déontologique, le syndic d’un ordre professionnel peut décider à ce stade d’ouvrir une enquête disciplinaire. Dans ce cas, il peut exiger du professionnel visé mais également de n’importe quel tiers, tout document ou renseignement[5].
Pour le législateur, la divulgation de l’information qui est détenue par un organisme public est un principe essentiel, néanmoins il doit se conjuguer avec celui de la confidentialité de l’enquête du syndic. Pour ce faire, il a établi des situations dans lesquelles un syndic et plus largement un ordre professionnel, peut refuser de communiquer des documents et des renseignements dans le cadre d’une demande d’accès à l’information[6].
C’est l’objet de l’article 108.3 alinéa 2 du Code des professions : « (…) un ordre professionnel peut refuser de confirmer l’existence d’une enquête, ou bien de donner communication d’un renseignement ou d’un document dont la divulgation est susceptible de révéler le contenu d’une enquête en cours ou d’avoir un effet sur une enquête à venir ou sujette à réouverture[7]».
En pratique, comment le syndic doit-il traiter une demande d’accès à l’information qui lui est présentée ?
Il devra procéder à une évaluation factuelle de la situation, soit au cas par cas afin de déterminer si chacun des documents et renseignements demandés peut être divulgué.
À ce propos, l’honorable juge Poitras explique ceci : « Certes, cette évaluation peut tenir compte du fait que certains renseignements ont été communiqués en toute confidentialité au syndic et en vertu de ses larges pouvoirs de contrainte. Mais cette évaluation devrait aussi considérer si les conséquences susceptibles de résulter de cette divulgation, en lien avec l’objectif visé par l’article 108.3 al. 2, justifient que soit écarté le principe d’accessibilité de ces documents dans le contexte particulier de chaque demande d’accès. Cette évaluation doit aussi généralement analyser chaque élément du dossier d’enquête de manière distincte et non le dossier d’enquête dans son ensemble[8] ».
Retenons que lorsque la demande d’accès à l’information vise un renseignement contenu au dossier d’une enquête disciplinaire, il s’agit avant tout d’une décision discrétionnaire.
Ainsi, la jurisprudence précise que « l’accessibilité des documents contenus dans un dossier d’enquête du syndic d’un ordre professionnel est laissée à l’entière discrétion du syndic[9] », de sorte que le pouvoir édicté à l’article 108.3 alinéa 2 du Code des professions « n’est encadré par aucune balise particulière et [qu’] un ordre professionnel n’a pas à démontrer les conséquences susceptibles de résulter de la divulgation des documents demandés afin de justifier son refus de rendre les documents accessibles[10] ». Au contraire, « exiger [du syndic] une preuve démontrant que la divulgation du document révèlerait le contenu de l’enquête, c’est exiger de mettre en preuve le contenu de l’enquête que la loi tient pour confidentiel »[11], c’est pourquoi il serait déraisonnable de contraindre le syndic à se soumettre à une telle obligation.
Cependant, la Cour du Québec est venue tout de même encadrer le pouvoir de l’ordre professionnel refusant de donner accès à l’information. Dans un tel cas, il « doit prouver que son geste s’appuie sur une disposition justifiant un refus d’accès. Sa marge d’appréciation et le fait d’être récipiendaire du document dans le cadre d’une enquête ne le met pas au-dessus de tout contrôle de la part de la CAI (la Commission d’accès à l’information qui statut en révision des décisions de refus d’accès à l’information)[12]».
Essentiellement, voici le critère retenu par la jurisprudence dans le cadre d’une demande d’accès à l’information contenue au dossier d’une enquête disciplinaire : « ce n’est pas le simple fait qu’un document soit au dossier d’enquête du syndic qui fonde le refus d’y avoir accès mais plutôt sur le fait de révéler le contenu de l’enquête ou d’avoir un impact sur l’enquête elle-même[13] ».
Dès lors, le degré de connaissance de la personne qui présente une demande d’accès à l’information n’a aucune incidence en réalité puisque le but poursuivi par l’article 108.3 du Code des professions est de protéger le contenu de l’enquête du syndic sans égard aux connaissances personnelles du requérant quant à l’information demandée.
Ajoutons enfin que le syndic peut répondre favorablement en partie à une demande d’accès à l’information en lien avec une enquête disciplinaire et donc refuser de communiquer certains documents ou renseignements demandés.
Par ailleurs, il faut savoir que le législateur a instauré un double régime juridique puisqu’il a également prévu des situations circonscrites dans lesquelles il ne s’agit plus d’une décision discrétionnaire conférée au syndic de l’ordre professionnel mais bien d’une obligation pour celui-ci de refuser de communiquer le renseignement demandé lorsqu’une telle demande d’accès à l’information lui est présentée.
L’article 108.4 du Code des professions[14] prévoit deux situations précises dans lesquelles il doit refuser la demande d’accès, à savoir lorsque la divulgation du document est susceptible de révéler une source confidentielle d’information ou encore lorsqu’il s’agit d’une information risquant de causer un préjudice à la personne qui est l’auteur du renseignement ou qui en est l’objet.
Voici un exemple. Tel serait le cas de la demande d’accès à l’information présentée par le professionnel visé par l’enquête disciplinaire qui souhaiterait accéder à la demande d’enquête parce que cela aurait pour effet de révéler l’identité du demandeur d’enquête et que cela serait contraire au principe reconnu selon lequel une enquête disciplinaire est confidentielle (la confidentialité est levée à l’égard du professionnel devenu intimé en cas de dépôt d’une plainte disciplinaire devant le Conseil de discipline en raison du droit à une défense pleine et entière, en revanche lorsque l’enquête disciplinaire se clôture sans dépôt de plainte, l’enquête demeure confidentielle même après la fermeture du dossier).
Par cette disposition, le législateur tente de trouver le juste équilibre entre le droit de l’accès à l’information et le principe de confidentialité de l’enquête disciplinaire.
Existe-t-il un recours en cas de refus d’accès à l’information ?
Lorsqu’un organisme public décide de refuser l’accès à l’information, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels prévoit un mécanisme de révision devant la Commission d’accès à l’information[15], et le syndic qui refuse l’accès a d’ailleurs l’obligation d’indiquer dans sa décision de refus l’existence de ce recours et les modalités[16].
La Commission d’accès à l’information a une fonction juridictionnelle en matière de révision des décisions de refus d’accès à l’information rendues par les organismes assujettis à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Dans ce cadre, elle est compétente pour déterminer ce qui constitue ou non le contenu d’une enquête : « s’il est vrai que le 2e alinéa de l’article 108.3 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels confère une discrétion au syndic, cette discrétion ne vise que la décision de communiquer, ou non, les documents susceptibles de révéler le contenu d’une enquête. La détermination de ce qui constitue le « contenu d’une enquête » relève des pouvoirs d’appréciation de la Commission, après évaluation de la preuve qui lui est présentée[17] ».
En conclusion, nous retenons que le droit d’accès à l’information est toujours la règle mais que le syndic d’un ordre professionnel peut refuser de donner accès à des renseignements ou documents contenus dans ses dossiers d’enquête lorsque le législateur le lui permet par le biais d’exceptions.
- [1] L.R.Q., c. C-12, art. 44.
- [2]Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ c. A-2.1, art. 1.1.
- [3] Id., art. 9, 83, 85; Code des professions, RLRQ, c. C-26, art. 108.1.
- [4] Code des professions, RLRQ, c. C-26, art. 108.5.
- [5] Id., art. 122. Pharmascience inc. c. Binet, [2006] 2 R.C.S. 513, 2006 CSC 48.
- [6] Id., art. 108.3.
- [7] Id., al. 2.
- [8] P.P. c. Collège des médecins, 2015 QCCAI 236, au para. 35.
- [9] Id., au para. 21.
- [10] Id., au para. 26. Au même effet, voir A.E. c. Collège des médecins, 2015 QCCAI 237 et M.F. c. Ordre des technologues professionnels du Québec, 2009 QCCQ 552.
- [11]M.F. c. Ordre des technologues professionnels du Québec, 2009 QCCQ 5526, au para. 85.
- [12] Jean Pierre c. Barreau du Québec, 2016 QCCQ 15800, au para. 29.
- [13] Code des professions, RLRQ, c. C-26, art. 108.4
- [14]Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ c. A-2.1, art. 135.
- [15] Id., 101.
- [16] Jean Pierre c. Barreau du Québec, 2016 QCCQ 15800, au para. 28.
- [17] J.D. c. Syndic du Collège des médecins du Québec, 2009 QCCAI 105, au para. 58.