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Le privilège relatif au litige et la divulgation d'échanges d'une partie avec son expert

Par Lanctot Avocats

De Me Tarik-Alexandre Chbani

La nature du droit disciplinaire, principalement en ce qui concerne les manquements aux règles de l’art et aux normes de pratique, commande fréquemment la nécessité d’une preuve d’expertise pour établir la culpabilité d’un professionnel. En fait, lorsqu’une partie souhaite procéder à la preuve d’une norme scientifique non codifiée, elle doit avoir recours à une preuve d’expertise, comme l’enseigne le Tribunal des professions dans l’affaire Dupéré-Vanier[1].

Mais quels sont les échanges entre une partie et son expert qui doivent être divulgués?

D’emblée, rappelons certaines distinctions entre le secret professionnel et le privilège relatif au litige.

Le secret professionnel s’étend à l’ensemble du dossier et des confidences d’un client à un professionnel ou, en d’autres mots, à tout renseignement ou document qui, s’il était divulgué, permettrait de révéler les confidences d’un client à un professionnel.

Quant au privilège relatif au litige, il protège les documents et communications qui ont servi à la préparation en vue du litige[2], lesquels comprennent notamment ceux découlant du mandat d’expertise. Il s’étend aux communications entre un tiers et un avocat d’une partie ou une partie non représentée. À titre d’exemple, si un syndic est représenté par avocat, les communications le syndic et le tiers ne sont pas couvertes par ce privilège.

Une exception au privilège relatif au litige se trouve au deuxième alinéa de l’article 235 du Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01 (ci-après : C.p.c.), lequel prévoit qu’une partie peut demander d’avoir accès aux instructions que la partie adverse a données à son expert dans le cadre d’un mandat d’expertise. Mais jusqu’où s’étend le droit d’accès d’une partie aux communications entre la partie adverse et son expert?

L’interprétation qu’en fait la Cour supérieure dans l’affaire SNC-Lavalin inc. c. ArcelorMittal Exploitation minière Canada[3] est à l’effet que les échanges postérieurs à l’octroi du mandat ou qui ne concernent pas ledit mandat n’ont pas à être divulgués puisque protégés par le privilège relatif au litige. Ainsi, dans cette affaire, la Cour a ordonné que soient communiquées les lettres d’engagement et les instructions données aux experts par une partie ou son avocat. On retiendra que même s’il s’agit d’une atteinte au secret professionnel, celle-ci s’explique par, d’une part, la mention du mandat donné à l’expert dans son rapport d’expertise de sorte qu’il y a là renonciation et, d’autre part, la nécessité de vérifier l’impartialité de l’expert. Le tribunal a toutefois rappelé que l’application de l’article 235 C.p.c. se limite aux instructions et qu’il ne faut pas y voir une ouverture à ce que soit communiqués les échanges entre une partie, ou son avocat, et l’expert.

Les conclusions soutenues dans ArcelorMittal sont notamment reprises dans l’affaire Bolduc c. Lacroix[4], de même que dans l’affaire Joly [5]. Dans cette dernière décision, on retiendra que malgré que le rapport d’expertise fasse mention du mandat donné à l’expert, « il est inexact de prétendre que la Cour y voit une renonciation générale au privilège relatif au litige et/ou le droit au secret professionnel de l’avocat. »[6]

Ainsi, bien qu’il soit reconnu que le mandat confié à l’expert ainsi que les instructions initiales qui en découlent puissent être divulgués sur demande, il nous apparaît clair que les échanges subséquents entre l’expert d’une partie et l’avocat de cette partie demeurent protégés par le principe du privilège relatif au litige. Le même raisonnement s’applique aux communications entre une partie non représentée et son expert. Nous sommes toutefois d’avis que les instructions subséquentes d’une partie visant à modifier ou réorienter le mandat d’expertise devraient être communiquées à la partie adverse.

[1] Dupéré-Vanier c. Camirand-Duff, 2001 QCTP 8 (CanLII).

[2] Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52. Voir également Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39.

[3] SNC-Lavalin inc. c. ArcelorMittal Exploitation minière Canada, 2017 QCCS 737.

[4] Bolduc c. Lacroix, 2021 QCCDMD 24.

[5] Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Joly, 2021 QCCDING 5.

[6] Ibid, paragraphe 85.