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Les pouvoirs du syndic face au secret professionnel

Par Lanctot Avocats

Par Me Tarik-Alexandre Chbani

Dans le cadre de son enquête, un syndic d’un ordre professionnel peut s’adresser tant à un membre de son ordre professionnel qu’à un tiers, tel qu’un membre d’un autre ordre professionnel, pour obtenir tout renseignement ou document relatif à son enquête.

En vertu du deuxième alinéa de l’article 192 du Code des professions, un membre d’un ordre professionnel à qui un syndic de son ordre professionnel demande un renseignement ou document ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de donner suite à une telle demande. Ainsi, le syndic d’un ordre professionnel peut avoir accès à toute information contenue dans le dossier d’un client tenu par un membre de son ordre professionnel.

Lorsque cette demande est adressée à un membre d’un autre ordre professionnel, la situation est différente. Si les renseignements demandés sont visés par le secret professionnel, la loi n’empêche pas le professionnel à qui s’adresse le syndic d’un autre ordre professionnel d’invoquer le secret professionnel pour justifier son refus de communiquer les renseignements ou documents demandés.

Toutefois, le droit au secret professionnel appartient au client. Ainsi, si le syndic souhaite obtenir un renseignement contenu au dossier tenu par un professionnel membre d’un autre ordre professionnel au sujet d’une personne, tel qu’un demandeur d’enquête, en l’absence d’une disposition expresse de la loi, il pourra obtenir le consentement ou une autorisation de cette personne qui est le seul maître de ce droit[1].

Une fois ce consentement obtenu, le syndic peut exiger de ce membre d’un autre ordre professionnel la communication du renseignement recherché. En effet, l’article 122 du Code des professions prévoit que le syndic peut « exiger qu’on lui fournisse tout renseignement ou document relatif à cette enquête ». Dans l’arrêt Pharmascience[2], la Cour suprême du Canada a établi que le pronom « on » utilisé à l’article 122 du Code des professions comprend toute personne et s’applique donc aux tiers, soit les personnes autres que les membres de l’ordre professionnel. S’il souhaite utiliser ses pouvoirs prévus à cet article, le syndic doit détenir, préalablement à sa demande, une information à l’effet qu’un membre de son ordre professionnel aurait commis une infraction. De plus, l’information peut provenir de toute source et elle peut même provenir d’un article de journal ou de procédures judiciaires dont le syndic aurait lui-même pris connaissance[3]. Il n’est toutefois pas nécessaire que le syndic puisse identifier précisément cette infraction.

En revanche, en l’absence de ce consentement ou d’une disposition expresse de la loi, le syndic d’un ordre professionnel ne pourra forcer un membre d’un autre ordre professionnel à lui divulguer des renseignements protégés par le secret professionnel.

Le Tribunal des professions s’est récemment prononcé à ce sujet dans l’affaire Gilson c. Psychologues (Ordre professionnel des)[4]. Dans cette affaire, le syndic ad hoc de l’Ordre des psychologues du Québec avait obtenu des confidences de la part de travailleurs sociaux concernant des membres d’une famille. Le psychologue demandait alors le rejet du rapport d’expertise au motif que celui-ci référait à des éléments de preuve recueillis en contravention au droit au secret professionnel des membres de la famille. En première instance, le Conseil de discipline avait rejeté la demande du professionnel en indiquant notamment que les parents avaient dévoilé les raisons de leur consultation avec les travailleurs sociaux. Dans son jugement, le Tribunal des professions souligne que le Conseil a erré à ce sujet et que c’est plutôt au moment où le syndic ad hoc avait recueilli les éléments de preuve, soit les informations concernant les membres de la famille, que le Conseil de discipline devait vérifier si le syndic ad hoc « avait obtenu légalement ou non des renseignements confidentiels auprès des travailleurs sociaux plutôt qu’en fonction de la renonciation tacite des demandeurs d’enquête et de leur témoignage devant le Conseil »[5]. Le Tribunal a toutefois conclu que cette erreur n’était pas manifeste et dominante, ces informations ayant eu un impact négligeable sur l’opinion de l’expert.

Ainsi, nous comprenons que même si un syndic obtient des renseignements protégés par le secret professionnel, cela ne vicie pas nécessairement la procédure ou un rapport d’expertise y faisant référence. Nous retenons que la vérification de la renonciation aux bénéfices du secret professionnel doit se faire au moment où les renseignements sont recueillis et non au moment de l’instruction d’une plainte disciplinaire.

Ainsi, lorsqu’un syndic d’un ordre professionnel cherche à obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel et qu’il adresse sa demande à un tiers qui n’est pas membre de l’ordre professionnel, ce syndic devrait s’assurer d’avoir une confirmation qu’il y a renonciation au secret professionnel.

  • [1] Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c Girard, 2019 CanLII 113448 (QC CDOII), par. 31; Voir également Institut Philippe-Pinel de Montréal c. M.E., 2016 QCCS 1719 (CanLII)par. 67
  • [2]Pharmascience inc. c. Binet, [2006] 2 R.C.S., par. 31.
  • [3]Supra note 2, par. 41.
  • [4] 2020 QCTP 30
  • [5] Gilson c. Psychologues (Ordre professionnel des), 2020 QCTP 30, par.77-79.