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Affaire Paquin : La Cour d’appel tranche sur la non-rétrospectivité des sanctions disciplinaires

Par Me Nicolas Geandreau

La sanction plus sévère n’est plus automatiquement applicable en droit professionnel

Un professionnel reconnu coupable d’inconduite sexuelle par son Conseil de discipline doit-il être sanctionné selon le régime actuellement défini à l’article 156 du Code des professions ou selon les dispositions et la jurisprudence qui avaient cours lors de la commission de l’infraction? C’est cette question qui a fait débat et qui a finalement connu son dénouement en juin dernier.

Dans l’affaire Paquin c. Lapointe, un membre du Collège des médecins avait enfreint le Code des professions par la commission d’une infraction à l’article 59.1 en ayant abusé de la relation professionnelle pour tenir des propos abusifs à caractère sexuel. Bien que des modifications législatives entrainant des sanctions disciplinaires plus sévères ont été adoptées en 2017 par le Législateur après la commission des actes, le Conseil de discipline avait conclu qu’une application immédiate des modifications législatives devait avoir lieu. Celui-ci a imposé au professionnel Paquin une radiation temporaire d’une durée de douze mois, soit dix mois de plus de ce que la jurisprudence antérieure aux modifications législatives reconnaissait comme une sanction adéquate.

Après un rejet d’appel de la décision par le Tribunal des Professions et un rejet d’un pourvoi de contrôle judiciaire par la Cour supérieure, la Cour d’appel du Québec est saisie de répondre à la question suivante :

« Suivant la norme de contrôle applicable, le juge a-t-il commis une erreur de droit en confirmant les conclusions du Tribunal au sujet de l’effet rétrospectif de ces modifications? »

Suivant les enseignements de l’arrêt Vavilov, la Cour d’appel a déterminé que la norme de contrôle à prioriser est celle de la décision raisonnable. Elle explique les principes entourant la présomption de non-rétroactivité des lois. Le législateur est présumé « ne pas avoir voulu conférer une portée rétroactive à une loi » lorsque des « modifications adoptées associent de nouvelles conséquences préjudiciables à des faits survenus avant leur entrée en vigueur »[1]. La Cour rappelle qu’il y a renversement de la présomption « que par une disposition expresse ou par l’emploi d’un langage exprimant clairement la volonté du législateur de conférer une portée rétrospective à la modification législative »[2] ou si « les nouvelles conséquences préjudiciables en cause visent à protéger le public plutôt qu’à punir pour un fait passé »[3].

Cette dernière exception concernant la protection du public est le point litigieux de l’arrêt Paquin. L’objectif premier des ordres professionnels étant d’assurer la protection du public[4], il pourrait être présumé qu’une modification législative d’une disposition de droit professionnel se qualifie comme une exception à la présomption de non-rétroactivité de la loi. D’ailleurs, les Tribunaux ne s’entendaient pas à savoir si cette présomption s’applique ou non dans ce contexte[5].

La Cour d’appel du Québec vient trancher cette divergence d’interprétation. Celle-ci reprend le cadre d’analyse du Tribunal des professions[6], qui s’inspire des arrêts Brosseau[7] et Tran[8], pour détailler le raisonnement à suivre pour déterminer si l’exception de la protection du public empêche l’application de la présomption. Deux critères cumulatifs doivent être respectés, soit :

  1. L’objet de la loi vise la protection du public; et
  2. La structure de la pénalité illustre que le législateur a considéré les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et ses effets potentiellement inéquitables, d’autre part.[9]

Une modification de la fourchette des sanctions applicables dans le cas d’un acte dérogatoire à caractère sexuel est une modification ayant pour objet premier la protection du public. Toutefois, elle n’est pas d’accord au fait que le deuxième critère est respecté :

« Or, à la lecture de l’article 156 du Code, de la loi ayant modifié cette disposition en 2017 et des débats parlementaires tenus lors de son adoption, rien ne permet de croire que le législateur « a réfléchi à la question de la rétrospectivité et qu’il a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif et ses effets potentiellement inéquitables ».[10]

Ce faisant, le Tribunal des professions aurait inconvenablement appliqué le test de Tran, ne se contentant simplement d’analyser l’objectif « protecteur » de cette modification et d’ignorer le critère « structurel ». La Cour d’appel du Québec conclut que la sanction imposée à Paquin était déraisonnable, n’entrant pas dans les contraintes juridiques applicables au moment de la commission des actes, et ordonne le renvoi du dossier dans une autre division du Conseil de discipline du Collège des médecins.

Alors que la Cour Suprême du Canada a rejeté une demande d’autorisation d’appel[11], ainsi se termine le débat sur la portée rétroactive des sanctions imposées aux professionnels ayant contrevenu à l’article 59.1 du Code des professions. Dorénavant, ceux qui seront reconnus coupables d’y avoir contrevenu pour des actes perpétrés avant juin 2017 seront sanctionnés en tenant compte de la fourchette des sanctions qui avaient cours au moment de l’infraction.


[1] Paquin c. Lapointe, 2023 QCCA 1129, par. 56 et 57.

[2] Id.

[3] Id., reprenant Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50.

[4] Code des professions, C-26, art. 23.

[5] Thow v. B.C. (Securities Commission), 2009 BCCA 46. A contrario Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347.

[6] Paquin c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 55.

[7] Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301.

[8] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50.

[9] Paquin c. Lapointe, préc., note 1; reprenant Paquin c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 55, par. 67.

[10] Id., par. 89.

[11] Dr Steven Lapointe, en sa qualité de syndic adjoint du Collège des médecins du Québec c. Dr Sébastien Paquin, 2024 CanLII 58471/